GRAND
BAIN
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Demain notre enfance (1)
Dépourvus d'espoir, nous nous surprenons à transformer nos passés en avenirs,
et à chercher dans demain les grandes heures finies de nos petites vies.

Il n'est pas rare de nous voir fermer les yeux,
prostrés dans nos bureaux, ou le soir sur nos divans,
et par la force de nos pensées, rajeunir dans nos têtes,
feuilleter les pages jaunies d'un album-photo que nous seuls pouvons voir
et qui raconte une histoire
réécrite par nos mains.

Dans ces moments-là soudain, nous avons 14 ans.
Ou bien 8 ou bien 12, peu importe dès l'instant
où nous ne sommes pas ici
et maintenant.

Nous sommes jeunes et souriants.
Nous sommes simples et nous sommes laids.
Nous ne sommes pas achevés.
Des mystères encore pour nous-mêmes,
nous croyant en partance pour un long et terrible voyage
sans comprendre que déjà nous l'avons achevé.

Immobiles et cernés de crainte,
nous trouvons dans demain le courage de jamais
en ces temps perdus où demain existait.
Et jamais se conjugue dans notre dos, sous notre nez,
et tisse autour de nous
la toile et les fils où nous finirons, contraints,
où nous finirons, transis, et amorphes, et minables,
à gesticuler.

Mais l'inconscience est douce
sous nos yeux fermés.
Et pensant à qui nous avons été
nous oublions un temps ce que nous devenons.

Nous avons 14 ans, ou bien 8 ou bien 12,
et nos langues sont des signes que déjà le pouvoir a quitté,
quand le sens de notre humour ne parvient pas toujours
à nous faire oublier que nous ne faisons pas
ce qui doit être fait.

Nous avons l'impression.
Ressentir, nous savons.
Ressentir et gueuler que nous ressentons.
C'est cette voix qui s'élève derrière nos yeux fermés,
mais rien n'est plus triste que ce cri grésillant
et les sensations vides dont il croit témoigner
quand il vient de si loin
et que chaque matin
nous voyons dans la glace
sous la lame à raser
la piteuse conclusion
de ces préludes brouillons.

Au creux de nos canapés,
sur une route grise comme un cerveau,
immobiles sur un bureau,
une souris morte dans notre main,
nous revenons un soir soudain
au moment où tout était possible
mais où, castré par le temps
avant d'en pouvoir jouir,
nous avons cru bon d'attendre
comme il était noté,
à l'arrière des bouteilles
et des filles de garde.

Nous voyons nos enfances,
et la force du souvenir.
Nous voyons ce que nous
aurions pu devenir,
et blottis dans les possibles
nous oublions un temps
les jours qui s'accumulent
sur nos corps impuissants.


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publié le 25 août 2014 à 22 h 49