GRAND
BAIN
GrandB ain
La phrase qui contenait 216 belles histoires
Il y a une sèche jachère de mes pieds jusqu'à l'horizon, et il y a une tour dans laquelle un banquier est encore en vie, et dans une cabane près d'un fleuve qui charrie des perroquets morts un vieil homme compte ses amours passées, et une tranchée où reposent les ongles de ceux qui l'ont creusée fait une cicatrice de l’œil à la commissure de la plaine, et notre voix observe dans les câbles de cuivre l'image fragmentée de sa propre déperdition, et les cristaux liquides gelés de nos écrans affichent des images et des langues à venir, et à quelques mètres d'une mare, un groupe de fauves ternes attendent le crépuscule pour rougir, et dans un bunker enterré, des combattants se rendent compte qu'ils sont nus et désarmés, et une foule d'enfants souriants s'est réunie en cercle pour brûler des présents à demi ouverts, et il y a une maison blanche - au crépis juste refait à la pelouse fraîchement tondue aux volets à peine repeints - qui n'appartient à personne, et non loin d'un arbre aux feuilles vertes mais dont les racines pourrissent déjà il y a une bibliothèque dont les rayonnages sont en phase de dématérialisation, et aucun son ne résonne puisqu'aucune oreille n'y prête attention, et on distingue dans la poussière les dernières empreintes de statues aux têtes coupées, et une jeune femme dont on voit saillir les os du visage court et s'arrache les cheveux en hurlant qu'un séisme est imminent, et sur le toit-parking d'un centre commercial à l'abandon, trois consommateurs fidèles se battent pour la domination d'un caddie, et sur l'amoncellement des corps étouffés de leurs femmes, des maris tendent leurs mains vers les orteils de beautés suspendues à des crochets de boucher sans parvenir à jamais les effleurer, et un ayant-droit affirme que le ciel lui appartient, et un dirigeant politique étudie les chiffres de sa popularité d'après un sondage réalisé auprès d'un échantillon de lui-même, et au pied d'un hémicycle blindé, un citoyen lambda attend calmement qu'une porte glisse pour ouvrir le feu, et de l'autre côté du monde, la morsure du vent ne blesse personne, et sous une dalle de marbre qui fait l'objet d'un litige immémorial entre deux nations repose la preuve carbonifère qu'elles n'en forment qu'une, et les cendres de nos ancêtres servent au torchis qui tient debout les garages où nous rangeons nos SUV, et les oiseaux qui ont cessé de voler en signe de protestation vivent enfin de leurs plumes, et l'assassinat futur de l'espèce humaine a déjà été requalifié en homicide involontaire, et un ouvrier occupé à œuvrer n'a pas le temps de se consacrer à ses pensées et note méticuleusement les jours et l'heure de leurs rediffusions, et derrière une scène improvisée sur des palettes de transport sur laquelle des comédiens jouent la millionième représentation d'Hamlet, une jeune femme muette par nature ou par choix se noie dans ses robes pendant que les spectateurs applaudissent, et sur un monticule d'ordures non-biodégradables, on célèbre en grande pompe l'union charnelle d'un représentant de l'ordre avec son arme de service chargée, et on compte plusieurs milliers de kilomètres cumulés de bouchons sur l'autoroute payante qui mène à un plus chaud précipice, et une équipe de paléontologues découvre que la boite crânienne de l'homo sapiens du XXe siècle - qui a provoqué deux guerres mondiales et des millions de morts - est nettement plus développée que celle de l'homo blabla du XXIe siècle sans qu'aucun d'eux ne soit capable d'en tirer la moindre conclusion, et dans un cercle tracé à même le sable un belligérant seul remporte son premier combat contre la solitude avant de tomber raide mort en souriant, et dans une cathédrale en bambou, un dirigeant religieux attend avec ferveur et impatience les résultats du Loto nouvelle formule, et recroquevillé dans une niche devenue son domicile secondaire un artiste contemporain renommé photographie sa propre cuisse sur laquelle des larves de hannetons en train de le dévorer dessinent d'après lui une grille de sudoku parfaite, et un ficus d'appartement que l'évolution a gracieusement doté de parole déclare qu'il est désormais accroc à la nicotine et souffre horriblement de l'interdiction de fumer dans les lieux publics, et un yuka ajoute qu'il peut boire jusqu'à l'inconscience car il n'existe pas d'autre repos, et une colonie de fourmis génétiquement modifiées songe sérieusement à mener leur reine à la guillotine qu'elles viennent de commander sur eBay, et un marabout hirsute reste circonspect devant les formes que dessinent à terre les sangs mêlés des utopies et du web 2.0, et autour d'une fontaine qui dispense du champagne frais, le lobby des acteurs de porno décide de racheter Natixis, et des pharmacies à court d’antidépresseurs prescrivent massivement des ceintures d'explosifs génériques, et dans un amphithéâtre dématérialisé, un professeur enseigne la non-grammaire du langage SMS à des étudiants qui ne l'écoutent pas et s'envoient des textos, et un bureau d'études finalise le logo de son nouveau produit après l'échec commercial de son concept de capitalisme sans sucres, et à 2,3 millimètres du bord d'une falaise calcaire rongée par le vent d'ouest, une poétesse s'amuse à danser la tecktonik les yeux fermés, et dans un parc, au milieu de jeux d'enfants rouillés, deux meutes de chiens sauvages se disputent le cadavre d'un trader trop efficace, et alors qu'il croyait avoir téléchargé une vidéo pédophile, un enfant de 5 ans découvre avec consternation qu'il s'agit en fait de l'Abécédaire de Deleuze qu'il a déjà vu 10 fois, et un sociopathe jusqu'alors pacifique commence à paniquer quand il réalise que la rue entière est pleine de voisins, et tous les journaux annoncent qu'un groupuscule de porcs s'est emparé du pouvoir laissé vacant pendant les fêtes de fin d'année, et la province autonome du Hackjikistan déclare que PHP est désormais sa langue officielle, et le dernier des philosophes met un point final au dernier de ses textes en se laissant dériver sur sa terrasse verglacée, et le sage affirme que d'un côté il y a ceux qui mentent et de l'autre ceux qui ne savent pas, et dans une canette de Coca Cola usagée, une souche de virus H5N1 compte les atomes d'hydrogène pour s'endormir, et la plupart des fournisseurs d'accès au sommeil ayant fait faillite, des millions d'intérimaires meurent d'épuisement, et la joie d'achever ne suffit pas à éteindre la brûlure de la tâche qui attend, et le condamné tient à préciser que le choix de la corde est indépendant de sa dernière volonté, et il y a un chat cocasse créé par une agence de communication pour lequel des hommes d'âge mûr sont prêts à mourir, et il y a un champ d'orchidées non-répertoriées car leur beauté fait perdre la raison aux naturalistes, et il y a un historien qui met fin à ses jours puisque la subjectivité des sources l'a changé en romancier populaire, et il y a des fœtus qui profitent de leur encéphale disproportionné pour se souhaiter bonne année à coups de boules, et toutes les horloges indiquent que la barbarie continue, et la lutte entre l'avoir et l'être se solde par un forfait illimité, et il y a un mur qui sépare leur lâcheté de notre impuissance, et il y a des amis qui ont renoncé à se demander comment ils vont, et il y a une limousine blindée en panne d'essence au milieu du désert qui attend des secours qui ne viendront jamais, et comme un enfant le diplomate à tout ce qu'il touche met le feu pour rire, et pour la quatrième fois consécutive, l'hiver succède à l'hiver, et après avoir fait plusieurs fois le tour du monde en suivant l'axe de deux tropiques, un navigateur en solitaire se rend compte que la terre ferme n'existe plus, et une foule de voleurs attend patiemment le premier jour des soldes, et la passion anonyme de quelques uns permet la célèbre survie du plus grand nombre, et on rebaptise "crise" chaque instant de "réel", et des chars d'assaut roulent sur des routes construites avec des débris de chars d'assaut, et le cours du baril de brutes monte en flèche, et la gesticulation concrète écrase encore la prétendue abstraction de notre travail, et les membres d'un think-tank socialiste parvenu au bout de sa logique sont retournés à l'état sauvage et se dévorent les uns les autres, et occupée à finir une quête sur WoW, une mère de famille oublie enfin ses enfants pendant 72 heures, et un ordinateur apporte la preuve que le nombre de places de parking est proportionnel à celui des conflits armés, et il y a un théâtre qui ne présente plus de spectacles du fait de la concurrence déloyale du dehors, et une fine particule de neige recouvre temporairement les erreurs de la veille, et un astronome voit dans son hyper-lunette un double de la Terre à la surface de laquelle un astronome l'observe, et les doigts des pèlerins se brûlent sur la relique encore chaude de leur propre foi, et au fond du crâne d'un innocent ruiné, des huissiers saisissent ce qui reste d'humain, et un couple de hollandais pique-nique par un temps orageux dans le cratère formé par la chute d'une météorite de taille moyenne en se disant que la foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit mais réalise trop tard que météorite et foudre, ça n'a rien, mais alors vraiment rien à voir, et même s'il sait que cette relation ne le mènera à rien, un vieil aveugle accepte que son labrador le raccompagne, et dans l'allée qui mène au manoir, le comte erre dans un pyjama de soie dont l'odeur agace de voraces coléoptères, et entre ceux qui meurent pour une cause et ceux qui vivent sans raison, la question n'est pas tranchée, et la technologie s'étant développée plus vite que l'espèce, les hommes sont de moins en moins capables de rêver, et dans un champ de tombes sans nom, le fantôme de Walter Benjamin admet que la reproduction mécanique n'a finalement rien de bon, et les appels à l'aide des pays sous-développés sont automatiquement rangés dans un répertoire "SPAM", et un décret ministériel statue que plus un travail est pénible, moins il doit être payé, ce qui ravit l'ensemble de la classe politique, et reclus dans sa maison barricadée, un psychopathe cerné par le GIGN demande qu'on ne lui apporte pas d'hélicoptère à cause de l'empreinte-carbone trop élevée de l'appareil, et un artiste multitâches se rend compte qu'il termine sa trentième année et qu'il a passé la moitié de sa vie à lire les histoires des autres et l'autre à raconter celles qu'il n'a pas vécues, et sur un terrain de foot improvisé sur un champ de mines, un meneur de jeu réussit des passes millimétrées, et un étudiant à qui on avait commandé une révolution revient avec une Xbox 360, et un bourreau très organisé dispose ses instruments de torture sur une table afin d'inspirer l'horreur à un agent immobilier refusant d'avouer qu'il est innocent, et au bout d'une jetée qui coupe en deux l'océan agité, un vacancier n'ose pas trop s'avancer de peur de perdre sa connexion wifi, et des cœurs pleins d'espoir se débattent dans la furie de corps nouveaux, et privé de tout repère, un guitariste se raccroche à la persistance de sa douleur abdominale, et un troupeau de gnous entame une action en justice afin de récupérer leur nom frauduleusement associé aux logiciels libres, et une enfant-bulle immunodéficiente découvre avec horreur qu'une nouvelle forme de grippe mutante peut désormais se propager par l'intermédiaire de MSN, ICQ et même AIM, et dans une calèche attelée de 12 chevaux, des aristocrates perruqués observent leur anachronisme avec mépris, et à la fin de la réunion qui leur a permis de fixer la date et l'heure de la prochaine réunion, un groupe d'administrateurs se rend compte que celle-ci débutera dans moins de deux minutes et qu'il faudra à nouveau passer plusieurs heures à fixer la date et l'heure de la prochaine réunion, juste avant de tous mourir de faim simultanément, et un artiste multitâches estime que passés 30 ans il est désormais vieux et vénérable et mérite en conséquence qu'on l'honore pour l'ensemble de son œuvre étant donné que l'espérance de vie des prophètes se limite depuis plusieurs millénaires à 33 ans, et une équipe soudée de cadres supérieurs se voit contrainte de fumer les feuilles de son ficus de bureau pour oublier un moment son état misérable, et aussi surprenant que cela puisse paraître, la majorité des écrivains écrivent des livres, et dans un bidonville tentaculaire, une poignée d'enfants sauvages et juristes s'instruisent à la décharge, et un moine copiste se lamente de tomber sous le coup de la loi sur l'économie numérique, et dans une cellule capitonnée, un amnésique n'oppose aucune résistance car il ne se souvient que de ce qui va lui arriver, et déçu de ne pas voir arriver sa promise, un fiancé pratique seppuku sur l'autel de l'église avant que le prêtre ne lui coupe gracieusement la tête afin d'achever un rituel qui lui est pourtant bien étranger, et la très mauvaise traduction d'un ouvrage médiocre devient un succès publique et critique pendant que l'original est envoyé au pilon par wagons, et une mare d'eau croupie dans un terrain vague qui borde une autoroute à six voies héberge sans que personne ne le sache des organismes multicellulaires organisés en vraie démocratie, et le référendum qui devait décider de l'adoption du manichéisme par l'assemblée générale des apôtres de la complexité aboutit une fois de plus à une égalité parfaite, et au cours d'une partie de poker céleste, le soleil refuse de se coucher, et à l'exception du rouge, le nom de toutes les couleurs a été oublié, et celui qui connaît tout n'a plus d'imagination et un infini malheur, et sur la neige la clarté de la pleine lune rend minuit matin, et sur un banc, deux vieillards très joueurs ne se parlent plus depuis qu'ils ont compris que le dernier pari intéressant ne pourrait pas être honoré, et le concert "jusqu'à ce que mort s'en suive" débute alors que le batteur a débranché les sondes qui permettaient un contrôle médical, et bien que la loi préconise le contraire une poignée d'être humain s'obstine à aimer, et un musée dont le prix d'entrée est fixé à 40 euros expose toute l'année le paysage mouvant au milieu duquel il a été construit, et sorti d'une faille qui plonge droit aux Enfers un flot ininterrompu d'écologistes projette dans l'atmosphère assez de CO² pour anéantir 120 espèces d'oiseaux, et un client régulier commande un autre verre de peur de se souvenir demain qu'il l'a encore fait, et la fumée épaisse crachée de la cheminée d'une usine de porte-clés à l'effigie de Paris Hilton dissimule dans les cieux une conjonction astrale qui n'a lieu qu'une fois tous les 10 000 ans, et un brûlé au troisième degré sur 98% de son corps se surprend à établir une hiérarchie de la douleur qu'il ressent, et encerclé par des CRS, un groupe de manifestants anti-OGM n'a d'autre choix que de chanter "Allez PSG !", et sur la table basse d'une salle d'attente, les magazines people racontent la vie des médecins qu'on vient consulter ici, et à l'occasion de la remise de son prix, un cinéaste lit exactement le même discours que celui prononcé par le Président de la République à l'occasion de ses vœux à la Nation, sans le faire exprès bien sûr, et face à une plante verte en plastique qui s'avère trop difficile à mordre, une sauterelle apprend à se servir d'un couteau, ce qui, pour aucune ethnie, ne présage jamais rien de bon, et un journaliste de Libération qui voulait donner son sang s'écroule avant même d'être sorti de chez lui, un bidon de 5 litres dans chaque main, et des enseignants ravis n'ont plus assez de temps pour enseigner autre chose que le métier d'enseignant, et un chien atteint d'un mal peu répandu chez les animaux se roule frénétiquement sur le sol, convaincu de se consumer sous un feu que lui-seul peut voir, et avant de mourir de froid en plein vol, une escadrille de grues tourne dans le ciel sans jamais prendre de direction, perturbée par les signaux des antennes relais de téléphonie mobile qu'elle identifie comme étant le pôle magnétique et passant l'hiver devant les vignes, un habitant de Floride ne peut comprendre comment des ceps noirs et tordus engendreront les plus fabuleux nectars, et un urbaniste inspiré invente un système de transport en commun qui relie la salle à manger aux toilettes, et les restrictions budgétaires ne nous permettent pas de conserver le dernier mot de cette, et le petit-fils d'un paysan de Tchernobyl se console en jouant seul le concerto de Bach en la mineur pour quatre pianos, et orchestre, et une jeune femme à la beauté stupéfiante pleure car son mari aveugle qui ne supportait plus le son de sa voix l'a quittée et que son amant sourd a préféré faire de même, mais ce pour une raison parfaitement obscure, et il y a aussi ce type qui s'agite, là, en disant que c'est lui le chef, mais alors les autres, pour le coup, ça les fait bien marrer, et sur le tarmac, un pilote et ses 128 passagers attendent que le pétrole baisse encore un peu pour décoller, et au cœur d'un jeu massivement multijoueurs, un PNJ a conscience de sa prédestination mais celle-ci ne prévoyant pas qu'il s'en plaigne, il ne le fait pas, et afin de ne pas être importunés à longueur de temps, un groupe de citoyens finance un centre de réception d'appels où des télé-opérateurs répondent poliment et à toute heure aux sollicitations publicitaires téléphoniques, et depuis qu'il a 77,7 ans, un Français se réjouit de constater que son espérance de vie augmente à chaque minute, et allongée sur les rails de la ligne TGV Paris-Lyon, une célèbre actrice utilise la méthode de Stanislavki, non pas pour jouer le rôle d'un morceau de béton, mais pour le devenir, et un utilisateur de MySpace qui était très heureux d'avoir 13895 amis est bloqué dans une chambre d'hôtel de Six-Fours-les-Plages depuis huit mois car il n'a pas fini d'écrire ses cartes postales, et un adolescent se sectionne volontairement les jambes afin de pouvoir jouer non-stop à des jeux vidéos, car d'après ses propres dires "la vraie vie est merdique", et il y a des monstres sous les lits de tous les enfants sages, et au milieu d'un pré, une vache regarde passer les fibres optiques, et devant une tente médicalisée sur un champ de bataille, un penseur infirme qu'une infirmière panse, et deux joueurs d'échecs n'osent pas débuter leur partie de peur de se priver de toutes les possibilités qu'un seul coup anéantit, et sur un chantier, un ouvrier déverse une remorque de gravillons en fermant les yeux pour imaginer qu'il entend la mer, et l'incompétence des uns se fond dans l'inconscience des autres, et alors que tout le monde possède une télévision noir & blanc, un spot télévisé vante, images à l'appui, les qualités d'un téléviseur couleurs, et à chaque fois qu'il lit le nom de sa femme ministre dans le journal, un homme rechute dans la dépression, rongé par la honte de n'être connu de personne d'autre qu'elle, et la fatigue excessive transforme la vie d'un employé de bureau en rêve flou où tout malheur n'est que probable, et deux amis qui discutent de leurs souvenirs d'enfance depuis des heures devant une bière réalisent soudain qu'en fait, ils ne s'étaient jamais rencontrés auparavant, et il y a des villes entières qu'on a construites sous terre afin que leurs habitants y vieillissent à température constante, et une jeune fille demande à sa mère qu'elle lui achète une mini-jupe, mais sa mère lui répond que c'est inutile car elle a six ans et que tous ses habits sont déjà mini, et il y a une bourriche d'huîtres qui refusent de s'ouvrir qui refuse de s'ouvrir, et les larmes se sont changées en rivières dans lesquelles se sont noyés ceux qui pleurent, et l'argent accumulé sur les comptes en banque dématérialisés acquière une autonomie intellectuelle et se déplace au gré de ses humeurs, et un compositeur met un point d'honneur à utiliser dans ses morceaux toutes les notes de l'instrument pour lequel il compose, et une vague de dépressions s'étant emparée d'un village, les autorités prennent la décision de construire tout autour un mur d'indifférence qui les en sépare, et les images de compensent le temps qui, et un alpiniste coincé au fond d'une crevasse prend des photos avec son téléphone portable qui se trouve soudain à court de batterie sans qu'il ait appelé les secours, et des publicitaires prétendent que dans 2,8 millions d'années, le mouvement des constellations inscrira dans le ciel le mot "DARTY", et un décret du Ministère de la Culture annonce que "le 19 janvier 2009 à 7h56, tout a officiellement été déjà fait en art", et un homme mort découvre que la lumière au bout du tunnel n'est destinée qu'à ceux qui ne le sont pas vraiment, et un neveu irrespectueux traite son oncle travesti de tante, et un enfant aux cheveux blancs fait du tricycle sur un chemin de basalte qui serpente au milieu d'un océan de lave, et un poète flâne dans les bois, oubliant le jour de son éloge immérité, et taché du sang de ses sœurs, mère, frères et père, un intellectuel engagé progresse sur la route de la vérité en réprimant ses sanglots, et du haut de la ziggourat qui lui est dédiée, le dieu de la poésie contemple l'étendue de ses sujets épuisés, et le chef du village estime que ses habitants sont malheureux car ils n'achètent de voitures neuves qu'au moment où les anciennes ne fonctionnent plus, et si la longueur totale de notre désespoir n'excède pas la largeur de notre honte, alors nous sommes géométriquement soumis, et il y a des tessons de bouteilles sur l'esplanade qui mène à l'Hôtel des Impôts, et le sage ajoute encore qu'il faut aimer le cheval ou bien descendre du cheval, et un cinéaste attend pour tourner sa prise que le ciel s'ouvre et libère les quatre cavaliers de l'Apocalypse tout en répétant à son équipe technique consternée "ils viendront, vous inquiétez pas les gars, ils viendront", et à même le sol d'une étable, une femme accouche d'un iPhone pendant que son mari, un iBook vert pomme, sourit en coupant le cordon USB, et le ciel s'ouvre, et il y a des hommes, et il y a des femmes, et il y a des animaux, et tous regardent vers le haut, et il y a une rumeur sourde qui parcourt la foule aveugle, et venu de l'horizon, un grondement irradie tout l'espace, et le vent souffle, et la houle creuse, et les maisons saignent, et le temps se noie, et les cèdres rient, et les siamois se déchirent, et il y a des cris, et de la peur, et de l'espoir, et du malheur, et des attentes, et de la magie, et des défaites, et des heures, et des nuits, et du vrai, et du bon, et du maigre, et du faux, et du doux, et du long, et du moins, et du trop, et du mort, et du rien, et du vain, et de l'eau, et du grand, et du beau, et toujours, et jamais, et oui, et oui, et encore, et encore, et encore.


Tous les éléments jetés dans le GrandBain (textes, photos, vidéos, etc.) sont diffusés sous licence Creative Commons (Paternité, Pas d'utilisation commerciale, Partage des conditions initiales à l'identique). Contact
publié le 12 décembre 2018 à 11 h 02

Notice :
C'est un texte que j'ai écrit entre le 25 décembre 2008 et le 25 janvier 2009 dans le cadre d'une résidence numérique du site panoplie.org (aujourd'hui mort). Plusieurs fois par jour, j'ajoutais des parties à cette longue phrase.
Une version courte a été publiée dans le numéro 1 de la revue "Carré".
Et une version très courte a été lue publiquement les 8 et 9 août 2014 au Bellovidère à Beauvoir.
Jamais aucune lecture intégrale n'a été organisée, et c'est bien dommage.