C'est fatiguant que tout veuille toujours dire quelque chose.
Il faudrait plus de lettres dans l'alphabet.
On en manque. Pour dire ce qu'on a vraiment envie de dire.
Il y a beaucoup de mots à disposition déjà, c'est sûr.
Mais bien souvent, ça ne va pas. Il en faudrait plus. De plus précis. Il faudrait qu'on puisse en inventer. Spécialement. Pour chaque occasion. Mais à chaque fois qu'on veut inventer un mot, même en alignant des lettres au hasard, ce mot veut toujours dire quelque chose.
Prenez "copeline", par exemple. Ça n'existe pas "copeline", je viens de l'inventer. Mais même "copeline" veut dire quelque chose. Celui qui l'entend, ou pire, qui le lit, toujours il va en déduire un sens particulier. Sans même s'en rendre compte, il va étudier les sonorités, penser que ça ressemble à un mot qu'il connaît déjà, un mot comme "coupelle" ou "copeau", et il va en conclure que c'est un mot de la même famille, avec un suffixe qui en augmente le sens, ou le précise. Ce suffixe "-line", il va se dire que c'est une sorte de suffixe d'artisanat, comme dans "mousseline" ou "vaseline" ou alors il va penser que c'est le féminin de "copelin". Enfin, il va penser tout un tas de choses pour se raccrocher à quelque chose de solide. Pour ne pas pendre au-dessus du vide.
Mais vous, avec votre belle invention, ce que vous vouliez, c'était juste un nouveau mot, un mot vierge, dans lequel vous auriez pu mettre un sens inédit, quelque chose de superbe, auquel personne n'avait jamais pensé. Et malgré toutes les définitions que vous apporterez, ça ne servira à rien. Celui qui vous lit, ou celui qui vous écoute, avant même d'entendre votre explication, déjà il aura trouvé un sens. Déjà il aura compris ce qu'il ne fallait pas comprendre. Et ce que vous vouliez dire, cette chose vraiment compliquée, mais vraiment importante, pour laquelle il fallait impérativement un mot nouveau, cette chose, personne ne l'entendra jamais. Elle restera en vous, cachée, dans l'ombre, comme un animal fabuleux terré dans sa grotte, et dont on s'aperçoit, quand il finit par en sortir, qu'en fait d'animal fabuleux, c'était juste un bête chien.
Au fond de nous, il y a des centaines d'animaux fabuleux, mais dans nos paroles, toujours de bêtes chiens.
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| publié le 30 juin 2010 à 11 h 15
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