GRAND
BAIN
GrandB ain
Série : nefaitespasattention
Sous-titrée "paroles pour chansons," cette série de textes a été initialement diffusée en 2007 sur mon site. Il s'agit en quelque sorte du laboratoire qui a donné naissance au roman "Les Agents" des années plus tard.
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Pour atteindre le complexe,
il fallait longer la voie ferrée
dont la tranchée convexe
perçait les chantiers,
kilomètres finis
de loges inachevées
bâties pour abriter
d’autres las ouvriers
dont les mains se briseront
sur des jours de martyr
et la promesse fanée
de ne jamais en sortir.

*

Pour atteindre le complexe,
il fallait traverser
l’étendue anonyme
d’un piteux terrain vague.
Les herbes avaient compris
qu’ici se faire fouler
rendait moins longs les jours,
qu’un pied sur elles avait
valeur de sentiment,
qu’entre semelle et boue
préférer le moment
où l’on oublie, étreint,
qu’un pas traînerait autant
s’il n’y avait rien.


publié le 25 août 2014 à 22 h 48

Dépourvus d'espoir, nous nous surprenons à transformer nos passés en avenirs,
et à chercher dans demain les grandes heures finies de nos petites vies.

Il n'est pas rare de nous voir fermer les yeux,
prostrés dans nos bureaux, ou le soir sur nos divans,
et par la force de nos pensées, rajeunir dans nos têtes,
feuilleter les pages jaunies d'un album-photo que nous seuls pouvons voir
et qui raconte une histoire
réécrite par nos mains.

Dans ces moments-là soudain, nous avons 14 ans.
Ou bien 8 ou bien 12, peu importe dès l'instant
où nous ne sommes pas ici
et maintenant.

Nous sommes jeunes et souriants.
Nous sommes simples et nous sommes laids.
Nous ne sommes pas achevés.
Des mystères encore pour nous-mêmes,
nous croyant en partance pour un long et terrible voyage
sans comprendre que déjà nous l'avons achevé.

Immobiles et cernés de crainte,
nous trouvons dans demain le courage de jamais
en ces temps perdus où demain existait.
Et jamais se conjugue dans notre dos, sous notre nez,
et tisse autour de nous
la toile et les fils où nous finirons, contraints,
où nous finirons, transis, et amorphes, et minables,
à gesticuler.

Mais l'inconscience est douce
sous nos yeux fermés.
Et pensant à qui nous avons été
nous oublions un temps ce que nous devenons.

Nous avons 14 ans, ou bien 8 ou bien 12,
et nos langues sont des signes que déjà le pouvoir a quitté,
quand le sens de notre humour ne parvient pas toujours
à nous faire oublier que nous ne faisons pas
ce qui doit être fait.

Nous avons l'impression.
Ressentir, nous savons.
Ressentir et gueuler que nous ressentons.
C'est cette voix qui s'élève derrière nos yeux fermés,
mais rien n'est plus triste que ce cri grésillant
et les sensations vides dont il croit témoigner
quand il vient de si loin
et que chaque matin
nous voyons dans la glace
sous la lame à raser
la piteuse conclusion
de ces préludes brouillons.

Au creux de nos canapés,
sur une route grise comme un cerveau,
immobiles sur un bureau,
une souris morte dans notre main,
nous revenons un soir soudain
au moment où tout était possible
mais où, castré par le temps
avant d'en pouvoir jouir,
nous avons cru bon d'attendre
comme il était noté,
à l'arrière des bouteilles
et des filles de garde.

Nous voyons nos enfances,
et la force du souvenir.
Nous voyons ce que nous
aurions pu devenir,
et blottis dans les possibles
nous oublions un temps
les jours qui s'accumulent
sur nos corps impuissants.


publié le 25 août 2014 à 22 h 49

Les révoltes de jadis
dont l’échec est plus sûr
à chaque mois qu’on tolère
achèvent d’ensevelir
les lendemains rêvés
par faiblesse ou désir.

J'éviterai de me plaindre
jusqu'au dernier soupir.
Je refuse que tout change
par peur de trouver pire,
pétrifié dans la fange,
je préfère y mourir.

Ne me sauvez pas. (x36)


publié le 25 août 2014 à 22 h 50

Autour de la table
les visages familiers
agonisent de sourire
derrière vitres ternies
aux carreaux cassés
mais le ménage est bien fait.
On troque maigres destins
contre sèches destinées.
On écoute à demi
ce qu’on nous dit à moitié.
Sur les chemises je devine
les traces de café
que les lessives bon marché
ont renoncé à occire.
Certains croient bon de dire
ce qu’ils ne pensent pas plus
que ceux pour qui mentir
a fini d’être un luxe
et dont les froides paroles
jetées sous la potence
ne réchauffent que les morts
qui n’ont pas eu cette chance.
Nos esprits sont ici,
nos âmes et nos salaires,
toutes les bribes de nous
réunies pour une fois
toutes ensemble à genoux
mais dépourvues de foi.


publié le 25 août 2014 à 22 h 51

Les craquelures sous nos pieds
dessinent des cartes du monde.
Celui qu’on a trop rêvé,
celui dont parle les radios,
strié de peuples identiques
que d’autres vents font sécher
sur les goudrons similaires
de villes aux noms exotiques.
Je vais souvent les jours vides
dans les rues sentir l’air chaud,
la poussière et le bitume,
y contempler les couleurs,
ternes par modestie,
respectueuses des vivants,
pour que la seule clarté
soit celle de nos corps blanchis.
Mes mains se posent sur le sol.
Je sens gronder la ville tiède,
murmurer les véhicules,
les entrailles moites du quartier,
les chants des gosses oubliés,
le bruit des vitres brisées,
les chiens qui gueulent à la lune.
Et dans les cages d’escalier,
dans les parkings désertiques,
les abribus salutaires,
là où se forgent nos suppliques,
je sens que bougent les pavés,
que sous la frêle caresse,
de nos désirs fauchés
une pyramide se dresse,
et neuf merveilles à côté.


publié le 25 août 2014 à 22 h 55

Notice :
C'est une chanson qui me suit depuis longtemps. Elle était présente (a capella) sur l'album "Ici vécut et fut arrêté XXX," en 2002 puis je l'ai interprétée accompagnée d'un orgue ou d'une guitare pendant les années qui ont suivi, variant toujours l'arrangement mais jamais la mélodie. Pourtant, sa place originelle était dans ce recueil où elle demeure désormais.
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