Il faut se sentir bien, et apaisé, et calme, et presque heureux,
parcellairement heureux du moins pour être comme ça
projeté dans le passé, oeil fermé bouche close,
et dans tous ceux qu'on n'a pas eu,
par contamination.
Il faut un instant exact, un lieu précis et le temps,
l'agenda pétrifié, l'uniformité d'un trajet régulier
entre tout à l'heure et plus tard,
sans aspérité sur une ligne droite et morne,
pour comme ça recomposer en rêve, en fable et en pure imagination
ce qu'on croit désormais qu'il s'est vraiment passé.
Il faut être heureux, je peux dire, bien heureux
pour comme ça n'avoir pas mieux à souffrir que la détresse d'être aujourd'hui et pas hier,
d'être ici et pas là-bas, d'être en route et pas hagard
dans le fond froid d'un aéroport à fixer un panneau lumineux
qui indique des noms fantastiques
dont on ne sait lequel sera celui qu'on appellera chez moi.
Il faut être heureux, bien plus, ravi,
il faut être ravi d'un ravissement tellement doux
qu'il aveugle et efface tout de nous,
fait tomber les murs mous d'aujourd'hui
pour laisser apparaître des cimes au loin qu'on pensait perdues.
Et le regret n'est pas le vrai malheur,
car le malheur empêche tout souvenir,
et toute évocation, et toute projection,
et celui qui est cerné par le malheur
ne voit que lui et maintenant,
sûrement pas hier ni demain,
ni une autre qu'il a aimée et qui est morte,
juste lui-même qui lutte
contre tout de suite et ce qu'il est
au cœur de ce tout de suite, et penser
soudain à ce qu'il était déjà
le rend moins malheureux
car à cet instant où son esprit se met en route vers le passé,
déjà il n'est plus ici, cet ici qui précisément
demeure l'unique lieu de sa souffrance.
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publié le 25 août 2014 à 23 h 03
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