GRAND
BAIN
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Demain notre enfance (6)
Nous nous sentons bien, oui, et apaisés, et calmes, et presque heureux.
Nous le savons car l'ignorons,
et flottons encore ailleurs, loin d'ici et de nous-mêmes.
Nous nous sentons bien, oui, et apaisés, et calmes, et presque heureux,
soudain ce soir, quand les portiques sombres au-dessus de la chaussée
portent le nom de la ville qu'autrefois nous avions vu apparaître
sur le panneau lumineux d'un aéroport,
de la ville qui a cessé d'être fantastique
quand elle est devenue la nôtre,
au-dessus des portiques noirs
qui portent dans l'absence de soir
le nom de la ville qui est chez nous
et que nous rejoignons
soudain ce soir
après un trajet assez régulier pour être invisible
sur une route fondue
dont nous n'avons rien vu
que la transparence
et la discrétion
comme elle laissait place
et se taisait en feuille blanche
renonçant à elle-même
à son utilité,
à l'écriture éphémère du roman d'un passé
qui ne l'était pas tant,
pas totalement,
mais dont le lointain chatoiement pourrait terroriser
comme la lumière encore visible des étoiles mortes dans un ciel noir
qui le sera encore plus bientôt,
qui l'est déjà potentiellement
quand vous êtes le seul à le savoir ou à vous en douter,
ou à en prendre conscience.
Réaliser ce soir soudain sous la voûte étoilée
que plus une constellation ne brille
et qu'au-dessus de nos têtes
ne subsiste plus que le froid et l'obscurité du rien
tandis que beaucoup gémissent de bonheur
et imaginent à la vue de ces points clairs
répartis au hasard dans l'espace
des mondes et des formes,
des animaux et des dieux
présidant à nos destinés
et qu'il n'y a plus que vous, et moi aussi bien sûr,
et qu'il n'y a plus que nous
pour savoir qu'un par un s'éteindront tous les mondes,
mourront tous les animaux et disparaîtront tous les dieux,
très exactement comme meurt sous ce portique noir
le souvenir d'autrefois qui nous a tenu compagnie ce soir soudain,
œil fermé, bouche close,
très exactement comme lui, aussi vite et crûment
nous ramène là d'où nous étions partis,
en cet ici que nous n'avions jamais quitté
qu'à la faveur de trajets mornes et réguliers
sur une route en fusion,
transparente et discrète,
où nous nous sommes sentis bien, oui, et apaisés, et calmes,
et presque heureux.


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publié le 25 août 2014 à 23 h 04