A partir de maintenant, je jure que je n'écrirai plus jamais au sujet de la plage.
Ceci inclut aussi bien la plage elle-même,
sa capacité à réduire à rien toute réflexion,
son sable chaud ou ses galets brûlants,
les spécimen las qui la peuple,
mais aussi toute chose qui pourrait s'y rapporter de près ou de loin tels que serviettes, parasols, écran total, etc.
Ceci étant dit, il va de soi que ce serment tolère quelques exceptions.
Par exemple, cette histoire particulière qui me revient au moment où j'écris ces lignes.
Dans cette histoire, je suis sur la plage et
je regarde autour de moi et
je vois tous ces gens à demi nus et graissant de lait protecteur comme poulets qu'on passe au four.
Certains pour survivre sont armés de la pire littérature que puisse connaître le monde de l'édition, et cela les protège des idées de meurtre et de suicide.
Je vois un drapeau vert qui flotte en haut d'un mat et un immense yacht qui mouille à une centaine de mètres du rivage. Depuis le pont de ce bateau de luxe, nous devons ressembler à un peuple de fourmis gluantes suintant d'huile et couvertes de sable collant.
Je tourne la tête et vois le profil ridé de mon voisin de serviette. Il est plongé dans la lecture du quotidien local, dans un article en particulier qui raconte qu'une vedette de la télévision passe ses vacances dans une villa tout près d'ici.
Puis la tête de mon voisin de serviette explose et je reçois quelques éclaboussures ainsi des fragments des os de son crâne.
Tout autour de moi, sur la plage, je vois des hommes, des femmes et des enfants en maillots de bain qui s'écroulent, criblés de balles. Des explosions soulèvent des langues de sable et de poussière dans la lumière crue du mois d'août.
Je découvre alors que la mer, en face, est envahie de bateaux de guerre. Minuscules points sur l'horizon, je ne les avais pas remarqués, mais les points avaient grossi jusqu'à devenir l'incroyable armada qui avance maintenant sur nous et déverse sur le rivage des centaines de soldats tirant et courant et criant et mourant sous le tir nourri venu des bunkers derrière nous. Des bunkers que je n'avais pas remarqué non plus. J'ai dû croire qu'il s'agissait de baraques à frites, ou de kiosques à journaux. Je crois bien que j'ai même fait un commentaire cynique en passant devant l'un d'eux, sans me douter qu'il était plein de guerriers armés prêts à ouvrir le feu à la moindre alerte.
Les soldats venus de la mer se jettent à l'assaut de la plage. Ils piétinent les serviettes, mettent à bas les parasols, plantent leurs baïonnettes dans les cadavres bronzés des vacanciers qui gisent comme des mannequins avachis dans d'impossibles positions. Il reste sur le champ de bataille quelques personnes ahuries, miraculeusement indemnes et qui errent sans but, trébuchant dans les trous que les grenades ont creusé dans le sable. Certaines tentent de s'adresser aux soldats mais ne reçoivent en réponse qu'une volée de plomb qui les traverse.
Derrière nous, les bunkers semblent montrer des signes de faiblesse. Un grand nombre a déjà été pris. Ce sera bientôt la fin de la bataille.
Sur la plage, les corps ensanglantés des vacanciers sont partiellement recouverts de sable. Des débris de maillots de bain sont éparpillés au milieu des bouées en charpie, des sacs de plage en miettes et des rabanes mutilées. Les membres nus des baigneurs sont bercés par de faibles vagues à l'écume écarlate.
Au loin, les destroyers entament leurs manœuvres d'approche. Quand ils pilonneront la ligne d'immeubles qui se tient de l'autre côté de la route, notre appartement sera probablement réduit en poussière par la furie des bombes.
Je me dis que c'est quand même dommage, parce qu'on avait loué pour 15 jours et que franchement, par ici, c'est pas donné.
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| publié le 09 août 2010 à 16 h 56
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