GRAND
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Série : nefaitespasattention
Sous-titrée "paroles pour chansons," cette série de textes a été initialement diffusée en 2007 sur mon site. Il s'agit en quelque sorte du laboratoire qui a donné naissance au roman "Les Agents" des années plus tard.
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C'est un soir soudain, œil fermé, bouche close,
que nous marchons encore sur des voies oubliées,
et nous nous effaçons, l'espace d'une seconde,
afin que qui nous sommes devienne qui nous étions.

Derrière nous, dans la brume et la noirceur de l'Est,
des cratères impassibles, comme occasions manquées,
nous apprennent que la foudre ne nous a pas frappés
pour plonger autrefois sur d'autres qui, rampant
aujourd'hui à tâtons,
feignent dans le silence d'avoir choisi leur voie.

La fête est bien finie
et les braises de la cendre,
et les cris des feulements,
les pensées des visions,
parcellaires, inutiles,
comme le ciel rougeoyant
et les aubes à venir.


publié le 25 août 2014 à 22 h 57

Au millième de seconde près
nous mesurons
le temps qu’il nous reste
à vivre ensemble.
Condamnés à rien faire
pour des temps définis,
nous voyons nos logis
se changer en cimetières.
De terreur nous tremblons
devant les week-end,
les retraites, les congés,
comme autant d’îles désertes
où l’ennui prend le pas
sur quelconque nouveauté.
Si du temps libre ne vient
que ce stérile repos
il équivaut à rien
et c’est ce que nous valons.
Désoeuvrés nous sommes vides
et oisifs nous hurlons
d’une voix qui s’écrase
sur ces jours trop longs.
Sans horloge nous brûlons,
sans horaire à tenir,
pointeuse et carillon,
nous errons au soleil
sur des plages formatées
qui embrassent nos angoisses
ou restons là prostrés
sur des pelouses mourantes
dans des jardins carrés
qui ne le sont pas assez.

*

Au milieu de ces mondes
dont nous ne voudrons jamais,
les fils de nos conjoints
rampent sourds et muets
salissant les maisons
qu’on se plait à ranger.
Des inconnus qui poussent
dans la rouille de nos cœurs
et de sèches années
suivent des jours meilleurs
qu’on gâche à perdre haleine,
sous leurs yeux méprisants.
Leurs enfances blessées
par les frappes aériennes,
les snipers embusqués,
les obus de tendresse,
les missiles de bonté,
la poisseuse caresse
de nos sourires piégés
les bercent de regrets
les étouffent d’amertume
pour qu’une fois venue
l’heure de notre mort
ils songent à se battre
oubliant au passage
que nous avions tous tort.


publié le 25 août 2014 à 22 h 58

Prenez place à la table,
le directeur va arriver.
Il finit de régler
d’importantes affaires
et sera à vous
dans quelques instants.

*

Ne faites pas attention
aux courants d’air,
les maçons s’affairent
à colmater les trous.

*

Ne faites pas attention
aux trous dans le toit.
Quand le temps est clément,
c’est ravissant.

*

Ne faites pas attention
à la moquette tachée.
La lessiveuse passera
dans la journée.

*

Ne faites pas attention
à la poussière, aux fourmis,
au papier décollé,
aux cafards comme des chats
et aux chats comme des ombres,
au boucan du dehors
et à celui du dedans
qui résonne dans nos crânes,
aux ascenseurs en panne,
aux bleus sur mes jambes,
au maquillage qui coule
sur mes joues enflées
par le sel de mes larmes,
aux cris que je pousse
en chargeant mon arme,
à l’aide que j'implore
les lèvres bien scellées,
aux gifles que je colle,
à celles que je me prends,
à mes allures de folle,
aux ordres déments
auxquels j'obéis
toujours en souriant,
à mes gestes, à ma vie,
au jour où j'ai brûlé
ma lettre de démission,
à ma soif de passion
ne faites pas attention.


publié le 25 août 2014 à 22 h 59

Nous avions 14 ans ou bien 12 ou bien 8.
Plus nos poils poussaient, moins hirsutes nous étions,
coiffés par les vents, immobiles, invisibles,
produits indivisibles de nos imaginations,
coiffés par l'air frais et le temps d'y penser,
vêtus de lâcheté, chaussés de conscience
de rien ni de personne,
propulsés un par un à vitesse luminique
sur le manège huilé dont les commandes factices
nous laissaient espérer des tragédies voulues,
des destins décidés,
des passions contrôlables,
des victoires méritées.


publié le 25 août 2014 à 23 h 00

Les journaux nous promettent
un avenir automatique,
blanc et désinfecté.
Un monde qui pourra tourner sans nous,
où il faudra s’occuper autrement
qu’en comptabilisant nos dépressions
nos RTT et nos T.S.
Nous n’aurons rien d’autre à faire
que contempler la blancheur
des rues parallèles qui brilleront
plus que nous.
Nous irons les dimanches
s’il reste des dimanches
sur la colline tondue
promener notre joie
et n’aurons rien de spécial
à dire de nos voisins
s’il reste des voisins
et des spécialités.
Nous aurons des enfants
trop heureux pour penser
et la musique jadis
qui nous rendait moins lourds
ne sera qu’un souvenir
fondu dans les passés,
cette histoire dont on aura
plus aucune raison
de se rappeler.
Et les jours passeront
comme autrefois les camions
sans qu’on devine quelles roues
nous pulvériseront.


publié le 25 août 2014 à 23 h 01

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